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Oublier Huế…

27 Mai 2009

Et afin de reprendre pied dans cette occidentale réalité, d’atténuer les effets d’un tenace jetlag spatio-temporel qui pourrait bien s’avérer avant tout socio-culturel, en un mot pour tenter de résoudre cette mini crise existentielle, il semble que la raison nous commande insidieusement de chasser de notre esprit les images et sensations littéralement extra-ordinaires dont le pays d’adoption nous a gavées.

Oublier Huế.

Telle serait l’impérieuse injonction parisienne en ce mois de mai.

Ne plus être la victime consentante des effets à long terme de ce syndrome stendhalien tropical.

Trop de beauté donnée à voir, d’un bloc, partout et sous toutes ses formes – léguée telle quelle par la nature ou façonnée par l’homme : la parfaite symbiose nature/culture – peut provoquer de durables pertes de repères chez les sujets par trop sensibles qui s’égarent volontairement aux alentours du 17 ème parallèle. Qu’ils étaient doux pourtant, ces éblouissements provoqués par la splendeur totale de la capitale impériale, berceau de la dynastie Nguyễn.

Oublier les pagodes aux tours vertigineuses juchées sur les collines surplombant le fleuve nourricier, oublier les berges verdoyantes de la Rivière des Parfums où paissent, à fleur d’eau, les buffles. Enfouir le souvenir du mélancolique Temple de la Littérature où, entre quelques herbes folles, reposent sur leurs tortues de marbre les stèles des grands mandarins de la cour ; désapprendre la grandeur intemporelle du mausolée de Tu Duc sous le crachin de février, ses stèles ouvragées, ses escaliers de pierre ornés de dragons à la gueule moussue ; la majesté du site où Gia Long voulut reposer, les dizaines de monts boisés qui le ceinturent, oublier ses lacs couverts de lotus, sous la canicule de mai. Omettre aussi les vestiges aristocratiques de la cité interdite, oublier qu’elle a été quasi-intégralement arasée par la guerre ; oublier le pourpre de Huế,  couleur de la mentonnière de soie tenant le chapeau conique qui, entre ses couches de feuilles de latanier, dissimule des poèmes  qu’on peut lire par transparence.

Oublier aussi le proverbe national selon lequel les plus belles femmes du pays sont celles de Huế, oublier l’allure irréellement gracile des collégiennes en ao dài blancs ; oublier le phrasé lent, doux presque mélodieux de la langue chantée à Huế…

Cette ville à la poésie immanente possède des vertus magiques, auxquelles la raison commande sans doute de ne pas succomber mais auxquelles le coeur, lui, ne résiste pas.

A Huế, de battre mon coeur s’est arrêté. Que c’était bon.

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